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Elliot du néant, de David Calvo

Calvo, un g{N}éant littéraire à découvrir.



Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,

L’Angoisse ce minuit, soutient, lampadophore,

Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix

Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,

Aboli bibelot d’inanité sonore,

(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx

Avec ce seul objet dont le Néant s’honore). […]  (Mallarmé, Ses purs ongles…, 1887)


Il est des romans dont la lecture nous attire irrémédiablement. On pose les yeux dessus, et ils exercent alors un pouvoir incontrôlable qui nous pousse à les feuilleter avidement. C’est ce qu’il m’est arrivé avec Elliot du Néant. Il était là, modestement posé dans son carton. Pas de fioritures, rien ne laisse supposer la complexité de sa trame à la vue de sa couverture jaune presque uniforme, rien ne laisse imaginer qu’il s’agit là d’une lecture rare, d’une petite perle offerte par les éditions La Volte parmi les coulées de romans de grands éditeurs qui ensevelissent les tables et le marché.
Mais pour moi, rien que le nom de La Volte signifie que j’approche de la lecture d’un bon ouvrage. Car les éditeurs d’Alain Damasio (la Horde du Contrevent...) se trompent rarement (passons sur la correction du manuscrit, on ne peut pas tout faire à temps dans les petits structures…).



J’avais déjà entendu son nom, David Calvo. J’en avais entendu du bien. Jeune auteur de littérature de l’imaginaire français, aussi doué dans ce domaine que dans les autres qu’il exerce : dessinateur, scénariste, et Game designer. De son esprit qui contient donc moult facettes s’est extrait ce roman hors norme, intitulé Elliot du néant.

Elliot, c’est le vieux concierge muet de l’école dans laquelle travaillait Bracken, un jeune français paumé devenu professeur d’arts plastique dans une petite ville d’Islande. On en est 1986, Nick Kershaw, sa coupe de cheveux aérienne et ses clip flashy font frétiller les adolescents islandais, et Bracken a mystérieusement démissionné de son travail, se terrant jour après jour sous sa couette, à écouter la radio islandaise dont il ne comprend pas un mot. Mais une nuit, un appel de l’école va le sortir de son trou : Elliot s’est enfermé dans sa chambre au sein de l’établissement et refuse d’ouvrir à quiconque. Or il ne risque pas d’ouvrir, puisqu’il n’est plus à l’intérieur. Comment un vieil homme à pu sortir de sa chambre fermée à clé et sans fenêtre ? C’est la question que se pose Bracken et le reste du personnel. Et si Elliot, fasciné par les mythes et légendes, avait trouvé un passage vers un autre monde ? Un passage vers le Néant ?
Bracken part donc à sa recherche, se frayant un chemin dans l’impossible, flanqué de deux petites tortues qu’Elliot à laissé derrière lui et qui semblent mystérieusement liées à cette affaire, et de son courage.

David Calvo nous fait entrer dans un univers magique, où se mêlent mythologie et croyances islandaises, poésie et références littéraires. Il peut parfois être dur de suivre le chemin sinueux qu’a voulu tracer l’auteur, car son écriture varie sur différents tons et donne la voix à plusieurs personnages où entités. David Calvo aime jouer avec les mots et faire rebondir les phrases.

C’est Bracken qui nous raconte son histoire, qui se passe en deux temps, ou plutôt dans deux univers. L’un commence avec la disparition d’Elliot, l’autre se situe dans le Néant, alors que Bracken vient s’échouer sur son littoral, et s’y perd corps et âme. Son récit est accompagné des dialogues exquis des deux tortues, ou bien parsemé d’intervention du « Kor » (chœur en danois) qui déclament (et creusent ?) des vers de poésie plutôt obscurs au premier abord. Certains chapitres sont entrecoupés de monologues mystérieux qu’il est bon de relire plusieurs fois, pour faire rouler les mots  savoureux de Calvo sur la langue et comprendre le sens du texte, ou bien tout simplement ne pas le comprendre, allez savoir quel était le but de l’auteur ; peut-être juste aller dans le non-sens pour mieux finir au Néant… ?

Parce qu'après vous aussi vous voudrez adopter
un macareux qui ne peut plus voler


Car David Calvo mêle vraiment un univers délirant, dont certains passages (notamment plusieurs avec un morse et des macareux, accompagné de violons et du ressac de la mer) font penser à l’esprit torturé de Lewis Carroll, d’autres sont une ode à la poésie, particulièrement celle de Stéphane Mallarmé qui semble être la première inspiration de Calvo pour son interprétation du Néant. Moi je connaissais le néant de l’Histoire sans fin de Michael Ende – monument de la Fantasy du XXème siècle (Atrejuuuuuuuuuuuuuuu… !) - et je découvre le Néant poétique de Mallarmé. Ca m’a terriblement donné envie de lire de la poésie, d’en apprendre plus sur le génie de Mallarmé, et de savoir quel personnage à eu autant d’influence sur un auteur pour qu’il livre un ouvrage aussi fou, et surtout aussi Génial.

Emballez le tout avec un humour subtil (qui a certain moment m’a arraché des petits rires dans le métro, et il en faut pour me dérider en public) dispensé par un panel de personnages savoureux et sublimé par la beauté (!) de l’esthétisme des années 80 (aaaahhh… Nick Kershaw et The Riddle). Les personnages sont vraiment très attachants, particulièrement celui de Bracken, artiste paumé au parcours chaotique semé d’échecs et qui semble enfin, grâce au Néant et à la recherche d’Elliot, trouver sa place dans l’univers (et qui, selon l'interview de Calvo, laisse penser qu'il s'agit d'une partie de lui-même). C’est ce qui rend la chute du roman monstrueuse et phénoménale… 

Mais je ne vous en dirais pas plus, à vous de le lire. Au moins pour les macareux.


Et un petit The Riddle pour la route, car figurez-vous que cette chanson et ce clip ont une véritable importance dans le roman, si si.

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