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L'Aliéniste, de Caleb Carr

Théodore Roosevelt chasseur de psychopathes.

Je vous ai déjà dit que j'avais passé des vacances à New York. Trop peu de temps malheureusement, trois jours ne sont pas suffisants pour découvrir tous les trésors de la Grosse Pomme. J'y retournerai bien une semaine, et je sais que ça arrivera.
Depuis j'ai lu L'Aliéniste, roman écrit par Caleb Carr en 1996, choisi justement pour sa situation géographique, puisqu'il se passe dans le New York des années 1890. Il n'a pas été facile de suivre le cheminement des personnages, un tas de rues ont changé de noms, des quartiers ont été intégrés à d'autres (notamment les Five Points qui n'existent plus sous ce nom là). Mais j'ai quand même saisi l’essentiel des localisations : une fois qu'on sait situer les avenues, les rues ne sont plus un problème.

J'ai vraiment aimé me promener dans les rues de New York (à m'en bousiller la plante des pieds, même...). Son seul problème à mes yeux était la distance trop rapprochée de ses énormes tours, de quoi vous rendre claustrophobes. Je me suis parfois sentie oppressée (le cas le plus éloquent pour illustrer cette impression étant les rues étroites de Wall Street) Je me suis baladée, guide en main, et suis tombée amoureuse des quartiers les plus anciens et les plus européens... finalement. Chelsea (et la High Line, cette ancienne ligne de chemin de fer reconvertie en sentier piéton, bien plus jolie que notre pendant à Gare de Lyon...), Greenwich et ses petites maisons collées, SoHo et ses bars, Little Italy et ses bouches d'égouts drapées des couleurs de la mère patrie... Je n'ai malheureusement pas eu le temps d'aller dans Harlem, ni de traverser totalement le pont de Brooklyn.

Je veux vivre à Gramercy Park

... quand je serais riche.



Ce qui tombe bien puisque c'est là qu'habite le narrateur de notre roman (au numéro 34), le journaliste de la rubrique criminelle John Moore. (finalement, j'aime le New York des années 1890!) Dandy, joueur invétéré, amateur de bourbon, il est l'ami de celui qui porte l'histoire, l'aliéniste.
Il s'agit en fait de Laszlo Kreizler, psychologue, "aliéniste", puisqu'il s'occupe en priorité des fous, et ce avec des méthodes pour le moins révolutionnaires. Ses pairs n'affectionnent pas particulièrement ses nouvelles théories, selon lesquelles la personnalité d'un homme serait influencée par ce qu'il a vécu dans son enfance.
C'est pourquoi il n'hésite pas à saisir l'occasion que lui offre son très bon ami Théodore Roosevelt, alors jeune préfet de la police de New York, c'est à dire l'aider à résoudre le meurtre d'un jeune enfant prostitué atrocement mutilé. Il va donc mener une enquête non officielle, accompagné de deux policiers juifs ayant étudié la criminologie moderne en Europe (où il y a eu de grandes avancées depuis l'apparition de Jack l'éventreur), de l'ambitieuse secrétaire du préfet qui espère devenir la première femme flic, et de son bon ami John Moore.

J'adore l'ambiance très Gangs of New York du roman, l'histoire se passe d'ailleurs trente ans après, mais plusieurs choses n'ont pas changé, notamment la corruption de la ville, vraie fosse d'aisance où se complaisent maquereaux d'enfants, gérants de tripots sordides, policiers corrompus aux poches pleines de billets...
L'enquête du petit groupe de l'aliéniste se fait dans le secret à cause de cette corruption. Les autorités, le maire de la ville, les cultes religieux, tout le monde trouve son intérêt à passer sous silence les actes d'un tueur en série sous prétexte de ne pas attiser la frayeur et la peur des habitants de la ville. C'est pourquoi la petite équipée va devoir composer avec plusieurs personnes qui veulent leur mettre des bâtons dans les roues. Suivis, épiés, menacés, il va être très difficile pour eux d'empêcher le tueur de frapper à nouveau. Caleb Carr décrit à la perfection les moyens qu'utilisent tout ce petit monde pour les empêcher d'avancer, expose les ramifications entre telle et telle branche, les alliances qui se nouent entre truands, hommes d'église et politiciens en cas de crise, pour préserver la fortune de chacun, au péril de la vie d'enfants.
D'ailleurs tout le monde s'en fiche de ces enfants. Le tueur assassine toujours de jeunes émigrés qui se prostituent ("ils l'ont bien mérité !"), pas de quoi attiser la pitié de ceux qui ont le pouvoir de faire avancer l'enquête. Seuls certains gangsters trouvent leur avantage à exploiter l'affaire : en période de ténèbres, les gens préfèrent boire qu'allumer un cierge dans leur église, le malheur est bon pour certains business.
Comprimés entre ceux qui veulent étouffer le sujet et ceux qui le brandissent pour créer des émeutes, tenter d'appréhender le meurtrier n'est pas une mince affaire. D'autant plus que la police n'a aucun indice. Le meurtrier choisit visiblement ses victimes sans les connaître, il n'y a aucun témoins, et le personnage semble en plus avoir un goût douteux pour le jeu du chat et de la souris.
C'est pourquoi les enquêteurs vont utiliser des méthodes qui nous rappellent à nous nos petits Experts Las Vegas... mais cent ans auparavant ! On en est aux balbutiements de la psychanalyse, aux essaient trébuchants de la criminologie telle qu'on la connait : les empreintes, les portraits robots, le profilage, toutes ces choses ne sont pas recevables dans un tribunal de l'époque. Mais elles peuvent servir à retrouver le meurtrier, et ainsi à trouver des preuves sur places, ou pire le prendre en flagrant délit. Grissom n'a qu'à bien se tenir !
Mais si Laszlo échoue, c'est toute son équipe qui perd crédibilité auprès de leurs professions et se retrouve au placard... et en particulier Roosevelt, lequel ne sait pas encore qu'il est voué à un destin bien plus important que Préfet de police.

L'ouvrage est tellement dense, passionnant, entrecoupé de descriptions sur l'état de la ville à cette époque, sa situation politique, sur les avancées de la médecine en psychologie, l'arrivée des nouvelles techniques d'investigation, les moeurs de la population, l'immigration, la société, l'art... bref. Je viens de lire un livre historique extrêmement bien documenté sur le New York des années 1890, mais bien plus excitant qu'un pavé pondu par un historien à la prose touffue et illisible.


En y repensant, je sens encore les odeurs nauséabondes du Lower East Side de l'époque, j'entends siffler les trains en partance de Grand Central, j'imagine les fiacres emportant de jeunes New Yorkais pressés traverser les avenues pour se rendre au Metropolitan Opera...

...et je me sens transportée...


J'ai pas pu me retenir de mettre la fin de Gangs Of New York, j'adore ce moment où on voit l'évolution de la ville. ;)

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