Il m’arrive parfois d’être un peu groupie. C’est rare, et je ne pousse pas mon vice à l’extrême, mais certains auteurs que je considère aujourd’hui comme de grands maîtres sont indispensables à ma survie ! J’attends donc leurs prochains ouvrages avec une ardente impatience, piaffant de joie lorsqu'on m’annonce qu’enfin – enfin ! – un nouveau roman va sortir. C’est l’état dans lequel j’étais quand ma représentante m’a mis entre les mains un feuillet d’explication montrant en gros plan la couverture du prochain Jean-Philippe Jaworski. Elle a dû voir mes pupilles s’illuminer de convoitise, et ma folie augmenter d'un cran lorsqu’elle m’a parlé de son ouvrage précédent réédité en tirage spécial et format collector. Faut pas m’faire des choses comme ça à moi ! Mon petit cœur se met à palpiter, mes narines frétillent avec leur vie propre et toute ma peau se hérisse de plaisir. Bref, autant dire qu’elle a compris qu’il fallait m’envoyer un service de presse de son nouveau roman illico presto et que j’allais certainement défendre ses poulains becs et ongles, malgré le manque flagrant (et honteux) d’amateurs de superbes, incroyables, inoubliables, romans de fantasy dans ma librairie.
Bon j’en fais certes un peu trop, il faut juste savoir que
Jean-Philippe Jaworski, que certains connaissent déjà, a écrit deux œuvres que
je considère comme grandioses, que je le place numéro 1 (ex-equo avec Stéphane
Beauverger) dans le palmarès des auteurs français de littératures de l’imaginaire
à suivre, et que son ouvrage Gagner la guerre figure parmi les six romans que
je conseille régulièrement (j’essaye de le fourguer dans les
pattes de tous mes clients en chantant ses louanges parce que Jaworski mérite
que tout le monde le lise. Pour ceux qui veulent savoir, les cinq autres qui
hantent mes conseils aux clients sont Le Déchronologue, De bons présages, Spin,
Carbone modifié et La trilogie de Wielstadt) et dont je parle un poil dans un précédent article. D’ailleurs il mériterait, comme le second ouvrage abordé
dans l’article, que je développe dans un nouveau billet sur tout le pourquoi du
comment de ce que vous devez le lire absolument. (mais c’est une autre histoire.)
![]() |
Gagner la Guerre en tirage spécial |
Bref. Ce nouveau roman, parlons-en. Même pas mort, le
premier tome d’une trilogie intitulée Rois du monde, sort le 22 août 2013 aux
éditions Les moutons électriques. J’ai encore un souvenir très fort de ma
rencontre avec Jaworski en 2009 : c’était au Festival des Imaginales à
Epinal, et comme à mon habitude, en bonne petite apprentie librairie effarouché,
je me suis approchée un peu hésitante au stand où il dédicaçait. En fait, j’ai horreur des dédicaces : le plus souvent je ne sais pas quoi dire à l’auteur qui me fait face (encore plus s’il
est étranger). Je ne suis pas particulièrement friande de signatures, que mon
livre en contienne ou en soit dépourvu, c’est le texte qui m’intéresse d’abord,
le reste importe peu. Je préférerais rencontrer les auteurs que j’apprécie
autour d’un café, d’un verre, au milieu de gens qui vaquent à leurs
occupations, qui ignorent la situation, plutôt que de les rencontrer face à une
table dans un hangar, après avoir fait la queue un long moment, avec une foule de fans
derrière moi qui attendent que je me pousse pour faire signer leur pile de
livres, et devant moi un auteur qui a vu tellement de visages et signé
tellement de livres qu’il ne se souvient même pas du dernier fan qu’il a vu et
tombe certainement de fatigue. Bref, d’habitude je ne fais rien signer, sauf
peut-être pour faire des cadeaux. Je me suis prêté à ce jeu et j'ai fait signer un exemplaire de Janua Vera ce jour là pour offrir un cadeau à mon pote A., dont j’avais
oublié l’anniversaire (la honte). J'ai dû rassembler mes forces pour demander à Monsieur
Jaworski si il y aurait une suite aux aventures de Benvenuto, héros de Gagner
la guerre. Il m’a répondu qu’il pensait faire une suite aux Récits du vieux
royaume, mais pas tout de suite. Là, il venait de commencer une autre saga, qui
se passerait au temps des celtes, et que ça allait lui prendre du temps. Il
faudrait attendre quelques années avant une prochaine parution. Nous avons bien
papoté dix minutes, je pense, mon record, et j’ai pris sa carte de visite parce
que j’espérais encore être libraire à l’endroit de mon apprentissage quand sa
nouvelle œuvre sortirait… et j’espérais
pouvoir faire une dédicace.
Alors voilà, aujourd’hui sort la Première branche de Rois du
monde, et je rêve toujours de faire une dédicace, mais autant vous dire que j’ai déménagé
de librairie en librairie jusqu’à aujourd’hui… là où je travaille actuellement notre calendrier d’événements est bouclé jusqu’en
novembre et je n’ai (malheureusement) pas l’autorité nécessaire pour imposer la
venue d’un auteur de fantasy (la hiérarchie me rirait au nez). Et pourtant… et
pourtant. J’ai dévoré Même pas mort en 24h. Certes, l’ouvrage n’est pas gros
(300 pages), mais j’y ai quand même consacré les trois quart de mon dimanche.
(le reste a servi à zyeuter World War Z, blockbuster sans surprise, et trois
épisodes de Vikings, qui ne m’a pas dépaysé de ma lecture ! Mes dimanches
sont palpitants.)
Déjà, Jaworski s’attaque à une période de l’histoire où,
soyons honnêtes, nous n’y connaissons goutte ! La Gaule avant Jésus
Christ. Alors oui on repense à nos irréductibles Gaulois en Armorique, avec
leurs braies, leurs tresses, leur barde, leurs sangliers, et on rigole bien.
Mais au final, c’est une période de notre histoire que nous n’évoquons guère
(ou très peu, surtout pour parler des romains) durant notre scolarité, et peu d’entre
nous se penchent sur le sujet après ça. Moi je peux vous dire que Jaworski a du
faire de sacrées recherches pour écrire ce roman qui foisonne de détails géographiques,
historiques et mythologiques sur les clans qui habitaient nos contrés. Mais
laissez-moi d’abord vous parler un peu de l’histoire…
Bellovèse nous raconte ses souvenirs. A l’époque, il est un Roi sans royaume. Son oncle Ambigat, Roi des Bituriges, a tué son père, Sacrovèse,
le Roi des Turons, lors de la Guerre des Sangliers. Depuis, il vit loin à l’écart de la cour avec sa mère, l’ancienne Haute Reine, et son frère Ségovèse. Le peu d’éducation
aux arts et aux armes leur vient de la bonté du Seigneur local qui les
surveille et qui s’est pris d’amitié pour eux. Or, à l’âge où tout
celte de haute naissance devrait être un homme et rentrer en pagerie auprès d’un
noble, le Haut-Roi ordonne que Bellovèse et son frère participent à la guerre
qui gronde aux frontières Arvernes. Il espère ainsi se débarrasser de neveux
qui pourraient devenir gênants avec le temps. Leur inexpérience des batailles
et leur impétuosité devrait les achever rapidement. La prophétesse l’a
elle-même prédit. Malheureusement pour Ambigat, Bellovèse se fait mortellement embrocher
sur le champ de bataille… mais la prophétie ne s’accomplit pas, il n’est même
pas mort.
Au premier abord on dirait un roman de fantasy banal, avec
des noms alambiqués et des régions inconnues. Mais je vous conseille de
chercher qui étaient les Bituriges, où vivaient les Turons et où se situent les
terres arvernes avant de considérer plus en avant l’œuvre de Jaworski. L’auteur
fait revivre l’antiquité gauloise, les territoires celtes qui jalonnaient nos
contrés avant l’apparition de J.C., avant les conquêtes de César. Les celtes s’étendaient
sur une grande partie de la France, jusqu’en dessous des montagnes d’Auvergne
(Arvernes), jusqu’aux régions du nord et au-delà du Rhin et des Alpes. Même pas
mort n’est pas tant un roman de fantasy qu’un roman historique sur une période
de l’histoire rarement (jamais ?) abordée. La magie qui traverse le roman
de part en part s’inspire des croyances, de la mythologie celte de l’époque, où
bardes et druides représentaient l’autorité spirituelle, artistique, médicinale
et politique. Les esprits, les dieux, les prophétesses, frayaient avec les
humains, vivaient sur la même terre, les choisissaient ou les condamnaient. C’est
ainsi que Bellovèse nous raconte son histoire. Le narrateur semble être vieux
et avoir beaucoup vécu lorsque commence son récit, qu’il transmet à un Ionien
(des îles d’Ionia ? Un grec peut-être, ou de Ione, ancienne région d'Asie Mineure ?) pour qu’elle soit transmise
par-delà sa mort. Même pas mort retrace son enfance et sa jeunesse, sa formation
maladroite et quelque peu atypique dans les terres d’exils où le Haut-Roi les a
confiné, sa participation désastreuse à la campagne de guerre de roi des
Lemovices, sa destinée maudite après qu’il ait échappé à la mort, sa vision de
l’entre-deux, et sa confrontation avec la réalité de son statut : de
roitelet paysan il embrasse la possibilité de redevenir un roi légitime, lui
dont le père était le Roi de Turons et la mère, fille du Roi des Bituriges.
Autant vous dire que ce premier opus de Rois du monde m’a passionné. Je me
redécouvre en ce moment une fascination pour l’histoire (passion que je
possédais enfant parce qu’elle me faisait rêver, et qui m’a quitté avec le
temps, comme souvent les passions désertent quand on est forcé de passer à l’âge
adulte), et je suis déjà en train de chercher quels livres d’Histoire pourrait
m’en apprendre plus sur cette période de notre pays qui reste totalement
floue pour bien des gens.
La force de Jaworski est de mêler habilement historique et
romanesque. Même pas mort est un roman très bien documenté, mais dont la
fonction première est de vous happer dans un univers littéraire somptueux,
empli de batailles épiques, de destinées grandioses, de héros grandiloquents et
d’une mythologie enchanteresse. Bellovèse, personnage fougueux, exalté nous
entraîne dans un récit digne de légendes arthuriennes (qui prennent place plus
de cinq siècles plus tard). Et c’est sans compter cette plume de l’auteur,
fouillée et luxuriante. J’aime comment Jaworski déploie ses phrases d’une
beauté singulière, avec un vocabulaire riche, alternant entre le soutenu et le
familier, mélangeant mots d’argots d’hier et d’aujourd’hui, et modelant ce
style (Jaworskien?) qui soutient le roman du premier au dernier mot, lui
donne encore plus de saveur. La narration aussi, un peu emmêlée, qui
déchire le voile du temps et balade son lecteur d’une époque à une autre à travers
les fièvres, les visions et les rêves de Bellovèse.
Mais je ne saurais vous convaincre plus et mieux que ça de
lire Même pas mort, roman historique hors norme, roman de fantasy singulier,
roman d’une infinie beauté, à l’âme guerrière, passionnant et passionné.
Maintenant j’attends la suite, pantelante, parce que c’est
une terrible attente qui se profile jusqu’en 2014… argh. Pour les fans de
Jaworski, j’ai appris qu’il dédicacerait à l’Antre-Monde à Paris (plus d’infos
sur le site internet de la librairie), si vous voulez rencontrer l’auteur c’est
l’occasion ! La peur de chaque lecteur après avoir lu un roman extraordinaire qui vous a transporté de manière unique est de se dire que peut-être le suivant ne sera pas aussi bon, que l'auteur risque de se répèter, qu'il ne soit pas à la hauteur de nos espérances. Je peux vous dire que Jaworski sait être original et n'a perdu son talent d'aucune façon. Je suis triplement conquise (les deux premières fois grâce à Janua Vera et Gagner la guerre), Jean-Philippe Jaworski reste parmi les étoiles de la littérature française à mes yeux.

Voilà... j'ai envie de le lire.
RépondreSupprimerJe ne termine pas la critique (pourtant très efficace !) pour ne pas me spoiler sur la lecture, mais je reviendrai vous en dire des nouvelles (que j'espère excellentes ;)
J'attends le retour d'autres lecteurs, je m'attends tout de même à très peu de déceptions, mais j'imagine que ça doit arriver :p j'attends des nouvelles !
SupprimerUn petit coucou confraternel pour signaler que nous recevrons le sieur Jaworski le samedi 21 septembre à L'Esprit Livre à Lyon. On lui parlera bien sûr de Même pas mort et surtout on le cuisinera pour avoir une idée de la suite... Car le tome 1 se termine sur une telle note que ça met l'eau à la bouche !
RépondreSupprimerHey, coucou confraternel ! Chouette ça, bon étant loin je ne pourrais en profiter mais c'est une super nouvelle pour les lyonnais ! Je suis tout à fait d'accord, penser au tome 2 me donne d'ailleurs l'eau à la bouche.
SupprimerHello Guixxx (un peu étrange de saluer un pseudo, mais faisons avec)
RépondreSupprimerJe suis tombée sur votre site grâce à Hello Coton (comme quoi ça sert!) et j'ai adoré votre compte-rendu du livre de Jaworski et de son travail en général. Ca fait plaisir (et ça donne envie) quand on sent qu'on a en face quelqu'un de passionné et de convaincu pour des raisons palpables. Et ça tombe bien, quand on met guerrier et beauté dans la même phrase j'ai tendance à tendre l'oreille, et comme je n'y connais pas grand chose en fantasy... (même si, quand même, j'ai lu - et me suis beaucoup amusée pendant la lecture du - Pratchett-Gaiman que vous citez). Donc je rajouterai Même pas mort sur ma liste quand il sera publié : merci pour l'article et le conseil de lecture!
Marjorie
Merci Marjorie, je me demande souvent pourquoi j'écris, et c'est ce genre de message qui m'aide à continuer. J'espère qu'il te plaira, parce que c'est vraiment un coup de coeur !
SupprimerGuixxx
Bonjour
RépondreSupprimerJe suis libraire et également une grande fan de M. Jaworski ! Je signale juste qu'il sera en dédicace à la librairie Mollat à Bordeaux le 5 octobre en compagnie de Justine Niogret (qui est également un auteur fantastique ! ) et Karim Berrouka (que je ne connais pas encore).
Bonne continuation !
Bonjour,
Supprimermerci pour l'info, comme ça elle pourra tourner ! Etant à Paris, ça ne sera pas pour moi, mais j'espère (et je pense bien!) que vous aurez du monde (j'aime aussi beaucoup Justine Niogret).