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Les Furies de Boras, de Anders Fager

Récemment un client m’a demandé « que lisez-vous de beau en ce moment ? ». Je savais en mon fort intérieur que mes lectures ne correspondraient pas à son interprétation de « beau », même si je vous assure qu’il y a une certaine beauté dans la monstruosité tentaculaire et visqueuse des récits des Furies de Boras, de Anders Fager. Alors quand je lui ai dit que ce n’était peut-être pas très beau mais que je prenais beaucoup de plaisir à lire un roman horrifique nordique, j’ai senti qu’il continuait de me faire la conversation pour la forme, en regrettant de m’avoir posé la question. Je lui ai expliqué que c’était un recueil de nouvelles d’horreur, mêlant histoire contemporaine et folklore suédois, que c’était très intéressant, gardant pour moi les rituels de chair et de sang, les cultes démoniaques, les prédatrices sexuelles mi-femmes mi-monstres et les enfants adeptes de tyrannosaures mythiques mangeurs de SDF. Ce sont des choses qui ne se disent pas à certaines personnes.



Aurais-je piqué votre curiosité ? Et il ne s’agit que d’une poignée de nouvelles parmi ce recueil foisonnant d’idées. Les Furies de Boras, parlons-en, donc. Avis aux âmes sensibles, à ceux qui préfèrent de « belles lectures », sachez que Les Furies de Boras peut déconcerter, dégoûter, voire marquer un peu profondément vos nuits. Car oui, il y est question de tout ce que j’ai cité au-dessus, et bien plus.
Anders Fager utilise le fantastique d'une manière bien à lui. Chaque nouvelle commence simplement : un groupe de jeunes adolescentes surexcitées qui descendent d’un bus pour s’éclater dans une petite boîte de nuit de province, un petit garçon qui passe par le trou du grillage de la maternelle pour observer un lapin, une jeune femme casanière qui sort à la recherche de contacts humains, deux amants aux jeux sexuels débridés ou encore une jeune femme de la bonne société qui décide de suivre une psychanalyse pour évacuer les rêves terrifiants qui sapent son humeur et ses forces. Anders Fager inscrit ses nouvelles dans un contexte historique ou contemporain de la Suède, dans les méandres des grandes villes, dans les familles recomposées de la classe moyenne, dans les provinces reculées du pays, lors de la grande guerre du Nord et de ses avancées sanglantes, reflétant ainsi d’abord l’image de son pays, de son histoire et de son folklore. Puis vient le moment où l’étrange apparaît, où une ambiguïté imprègne le texte, où le lecteur sent une tension s’installer et sait que d’un moment à l’autre tout peut basculer, les masques tomber et les monstres se révéler. Orgies rituelles pour déités païennes, sociétés secrètes de sorciers sans âge, créatures millénaires avide de sang ou de vengeance, appelées par les hommes ou tombées du ciel, l’horreur s’installe dans l’univers de Fager et tranche brutalement l’herbe sous les pieds du lecteurs, qui ne s’attendait pas à de tels retournements de situation.

En tout cas, je peux dire que la violence inattendue de certaines nouvelles m’a profondément marquée, il m’arrive encore parfois d’y penser plusieurs heures et jours après, au boulot ou à la maison. Je repense au choc des mots de l’auteur contre ma raison, à leur violence et à leur magie propre, celle de rendre réel, tangible, un panthéon démoniaque de déités cruelles sans visages. Je repense aux personnages, à la fois excités et désespérés, esclaves de leurs monstres, intérieurs et extérieurs. Et je me dis que Les Furies de Boras, c’est bigrement bien foutu comme recueil de nouvelles d’horreur, parce qu’y en a certaines qui continuent de me foutre les chocottes quand j’y repense, que j’ai eu plus d’une fois le poil des bras hérissés durant sa lecture, et surtout parce qu’il ne tombe jamais dans l’outrance, sait s’arrêter au moment approprié pour maîtriser l’émotion de son lecteur et varie les styles d’écriture avec un talent indéniable d’une nouvelle à l’autre.

Un succès, vous dis-je. Alors, amateurs de fantastique et d’horreur laissez-vous tenter par ce recueil à la beauté glaciale. On compare souvent son auteur à Lovecraft ou Stephen King. Pourquoi pas, moi je trouve qu’il a son propre style, plus sexy que Lovecraft, plus rock’n’roll encore que King, et cette fois avec l’imaginaire et le folklore nordique, presque plus brutal et glaçant que ses confrères américains.

Remercions donc les éditions Mirobole, jeune maison d’édition bordelaise, pour la traduction de ce recueil. J’ai déjà parlé d’eux en évoquant le roman de S.G. Browne, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour, cette fois-ci un roman fantastique américain, parodie de roman de zombie dont l’humour m’avait étiré les muscles zygomatiques de la première à la dernière page. Mais Mirobole nous offre des romans fantastiques ainsi que des polars venus des quatre coins du globe, des russes, des polonais, des américains, des suédois, et même des moldaves ! Le tout avec des couv’ au graphisme léché qui donne envie de les collectionner dans sa bibliothèque. De la qualité, donc, de l’objet jusqu’au contenu de l’œuvre. Alors, suivez mon conseil : découvrez Mirobole.



Sur ce, je vais tenter la lecture de L’homme-soleil de Gardner, après La Symphonie des spectres, j’ai décidé de m’attaquer à ce deuxième gros morceau du prodigieux auteur américain décédé trop tôt. Si il est aussi bon que son dernier roman, alors ça ne peut être que du bonheur.

Commentaires

  1. Ah ben le résumé de "L'homme-soleil" est très intrigant. Mais je crois que je vais passer mon tour sur les horreurs nordiques. Je déteste avoir peur.

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    1. Oui, pour le moment j'avoue être un peu irritée par quelques longueurs, mais au bout de la page 80 l'action semble pointer le bout de son nez... attendons voir.

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  2. Bonsoir.
    Je ne suis pas sûre d'apprécier ce livre. Mais en tout cas j'aime l'originalité voire le non conformisme de tes coups de coeur.
    Merci !!!!

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    1. Bonsoir, effectivement je sais que ce livre ne plaira pas à une large public, il est vraiment particulier :) Merci à toi pour ton message, il me fait très plaisir.

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