Accéder au contenu principal

Libration, de Becky Chambers


J'ai découvert Becky Chambers avec L'espace d'un an (The long way to a small, angry planet), aussi paru aux éditions L'Atalante l'année dernière. J'avais refermé L'espace d'un an en me disant que ses personnages hauts en couleur, plein d'humanité et son univers riche et fascinant allaient terriblement me manquer.




On y suivait les aventures d'un vaisseau foreur de trou de vers (Le Voyageur - The Wayfairer) et de son équipage composé d'humains et d'extraterrestres de l'Union Galactique, en route pour une mission périlleuse aux abords d'une planète en plein cessez-le-feu.

Libration (A closed and common orbit) est le deuxième roman de l'univers de Becky Chambers. On y retrouve l'un des personnages secondaires intervenant dans le premier opus (Poivre), qui nous dévoile ses origines et son histoire.

L'univers de Becky Chambers, c'est une Union Galactique (l'U.G) composée de différentes races extraterrestres (les Intells) dont l'humain est l'un des derniers ressortissants - et l'un des moins évolués. Au fil des romans, on comprend que l'humanité à rendu la Terre inhabitable, n'a survécu que grâce à la colonisation et habite désormais sur Mars ainsi que sur d'autres planètes extraterrestres où les différentes races cohabitent en paix. Une paix issue de nombreuses guerres dévastatrices entre les Aandrisk, les Aeluons, les Grums ou encore les Harmagiens.

C'est certainement la découverte des moeurs et de l'histoire des différentes races intelligentes qui peuplent l'espace qui rend les oeuvres de Becky Chambers aussi fascinantes : lorsqu'elle nous parle des guerriers Aeluons, race humanoïde qui n'a pas de cordes vocales et qui communique à travers les différentes couleurs qui pigmentent leurs joues, ou bien des reptiles Aandrisk et de leur plumes chatoyantes qui ont une vision étonnante et complexe de la famille, des Harmagiens aux nombreuses tentacules qui trouvent les êtres humains particulièrement laids, ou encore du peuple Sianat dont certains vivent en symbiose avec des parasites leur permettant de devenir les meilleurs scientifiques et explorateurs de l'espace (et réduisant considérablement leur espérance de vie).

Si Libration est en lien direct avec L'espace d'un an, les deux peuvent tout de même se lire indépendamment - même si je conseille de commencer par le premier paru pour une meilleure compréhension de l'univers. 
Libration raconte l'amitié qui va lier Poivre, une jeune humaine mordue de tech au passé tourmenté et de Sidra, une intelligence artificielle qui se trouve transféré illégalement dans un corps biologique et qui lutte pour trouver sa place entre l'univers robotique et l'univers des Intells.




Becky Chambers aborde différents thèmes que l'on retrouve actuellement beaucoup dans la SF (et même dans l'actualité !) mais à sa sauce ; des intelligences artificielles qui luttent pour trouver une place dans un monde d'Intells où ils ne sont pas reconnus, le rapport au genre via le sexe des Aeluons, les rapports sociaux entre chaque espèce et les liens qui se tissent à travers la mixité des races et des classes sociales, le clonage et son éthique, l'eugénisme et ses dérives... etc. Elle explore le rapport des humains avec les modifications génétiques par le biais des origines de Poivre et de son compagnon Bleu : Poivre était utilisée pour des usines de triage de tech dès la naissance, et Bleu a été abandonné par sa famille à cause d'un handicap alors qu'il devait être parfait. 

Vraiment, l'auteur réussit encore avec son deuxième roman un tour de force. Ses livres ne sont jamais violents, ce ne sont pas des space-opéra qui décrivent de longues batailles spatiales, ni des enquêtes scientifiques jalonnées de meurtres et disparitions mystérieuses et de théories complexes, c'est plutôt la cohabitation dans l'univers d'espèces différentes et des liens qui se tissent entre eux. Tous les personnages de Becky Chambers sont réellement attachants et intéressants. Ce sont souvent des marginaux dans leur propre monde, soit parce qu'ils ont des façon de vivre considérée comme déviantes dans leur culture, ou des handicaps impardonnables par leur propre peuple, ou un passé empreint traumatisant qui les a poussé à s'éloigner de leur foyer d'origine. Ces blessures, ces différences, les rendent d'autant plus aimables, car ce sont des personnages qui possèdent en conséquence une grande ouverture d'esprit et une nature profondément généreuse.

L'espace d'un an et Libration pourraient être ce qu'on appelle des Feel good books, on en sort la tête farcie de bons sentiments et, diantre !, ce que ça fait du bien ! Enfin un roman de science-fiction avec des extraterrestres travaillés et originaux (tant au niveau de leur histoire que de leur description physique, ça change des bébêtes à la Alien ou des petits bonshommes verts) et qui ne sont pas les méchants de l'histoire !
Enfin un univers où l'on sort de sa lecture avec des étoiles plein les yeux et l'envie de visiter toutes ces incroyables planètes - qu'elles soient arides, plongées dans la nuit, glaciales ou densément peuplées - et de découvrir l'histoires et la culture de tous ces différents peuples.





Libration, comme L'espace d'un an, bouscule et marque profondément. Becky Chambers sait parfaitement mener sa narration, elle arrive à alterner ses descriptions et découvertes de folklores et cultures avec des chapitres pleins de suspense. Elle sait faire monter la pression mais n'en fait jamais trop. Certains s'attendront peut-être d'ailleurs à plus d'action, mais les romans de Becky Chambers ne sont pas des des page-turner américains où les péripéties s'enchaînent à un rythme effréné, au contraire l'auteur n'hésite pas à nous plonger dans le quotidien de ses personnages, leurs petites joies et leurs routines apaisantes. Pour autant je ne me suis jamais ennuyée, car ces moments plus contemplatifs apportent toujours quelque chose.
Ce sont des romans qui utilisent parfaitement la science-fiction pour être les vecteurs de messages qui me semblent aujourd'hui essentiels.

Et que dire des dialogues de Becky Chambers ! Ses personnages ont certes une histoire passionnante, mais ce sont les dialogues très spontanés qui soutiennent aussi le roman. Ils représentent bien la liberté et la joie de vivre qui animent ses personnages.  L'écriture de Chambers n'est pas riche et soutenue, elle utilise un langage familier naturel, instinctif, qui nous rapproche encore plus des personnages. Elle m'a fait rire de nombreuses fois grâce à sa plume, qui passe aisément du mélodrame à l'humour. J'apprécie aussi beaucoup l'utilisation du "iel" pour le rapport au genre. Certaines des espèces décrites par l'auteur n'ont pas deux genres définis comme le nôtre, et sa façon de l'inscrire dans l'histoire semble parfaitement naturelle et tout à fait rafraichissante.

En bref, pour moi Libration et L'espace d'un an piochent habilement dans des références telles de Firefly (pour les dialogues et les personnalités) ou Farscape (pour la diversité des races extraterrestre et la richesse de leur background) avec leur propre touche d'originalité. Les amateurs de SF plus classique devrait tout à fait y trouver leur compte, et les non-lecteurs de SF devraient aussi se laisser charmer. Pour ce qui est des fans de romans bourrés d'action, c'est plutôt raté.

Je les conseille donc fortement (et j'ai conseillé L'espace d'un an à tour de bras depuis sa sortie en librairie !), je les relirai avec grand plaisir et espère vraiment que l'auteur continuera à explorer l'Union Galactique pour nous abreuver de romans de SF aussi bien ficelés et nous faire découvrir l'étendue de son imagination.






Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Édification d'un rêve, ou la librairie fantastique.

Dessin de Tom Gauld Combien de fois dans mon entourage (le peu qui lisent mes chroniques en diagonale) m’a demandé quels étaient ces plans « top secrets » dont j'ai fait état dans plusieurs de mes billets. Ceux qui m'ont posé la question sans détour ont obtenu l'information claire et définitive que je partage avec vous ici : je veux créer ma boîte. Je vous ai déjà parlé avec nostalgie et envie de mes rêves. Depuis mon adolescence je fantasme sur cette possibilité. J’ai vécu dans le rêve brumeux et cotonneux de posséder ma propre librairie. Je l’ai imaginée, décorée, rempli et re-imaginée des centaines de fois. Parfois elle ressemblait à l’ancien local de la librairie Imagin’ères à Toulouse, une toute petite pièce au plancher craquant et aux étagères ployant sous des rayonnages de livres de SF, la musique de Loreena McKennit se mêlant aux effluves de patchouli. Parfois elle ressemblait au Forbidden Planet de Londres, gigantesque, fournissant profusion de Bds ...

Ouverture et tralala

Voilà, ça y est, après des mois de recherches, des semaines harassantes à s'occuper de l'administratif, puis des travaux, puis de l'administratif, puis de la manutention, puis de l'administratif (quoi, je me répète ?), on a enfin ouvert cette librairie. La dimension fantastique. On a ouvert hier, samedi 31 janvier, et on se sentait pousser des ailes. On prend tranquillement nos marques, on reprend nos bonnes habitudes acquises lors de nos précédentes expériences, on essaye de se débarrasser des mauvaises (celles des branleurs au chômages qui se sont prélassés dans leur canap' pendant des mois en attendant que ça bouge). On prépare nos nouveautés, on organise nos premières dédicaces, on sourit benoitement devant notre premier chiffre d'affaire.  La vie est belle depuis hier ! Bon allez, je vous mets quelques photos, les fruits de notre dur à labeur à Julien et moi. Pour ceux qui n'ont pas suivi (ou ceux qui débarquent...

Rattrapons le temps perdu - La Passe-miroir, de Christelle Dabos

Mais où était-elle tout ce temps ?  Personne ne se le demande, parce que depuis mon arrêt brutal (mais temporaire) de ce blog, sa fréquentation a lamentablement chuté ! (Logique, me direz-vous) . Pourquoi ?, surtout ! Telle est la question que personne ne pose et à laquelle je vais répondre. Je pourrais prétendre que je n'ai pas eu le temps d'écrire (une fausse vérité, ou un vrai mensonge, au choix), que je suis débordée (bon ça c'est vrai, mon boulot me prend quand même beaucoup de temps) et que j'étais trop fatiguée pour écrire en rentrant chez moi (bon, ça aussi c'est vrai, j'étais même trop fatiguée pour sortir mon chien, faire à manger, enlever mes chaussures et changer mes draps, donc bon tu vois... "mais où est cette fausse vérité", me crie-t-on !). La vérité vraie c'est que j'ai oublié. Oublié combien j'aimais écrire, vous parler de mes lectures, partager mes pensées. J'ai oublié combien j'aimais lire...