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La maison du Cygne, de Yves et Ada Remy

Il y a des ouvrages dont on entend parler comme d'une merveille disparue.
"Tu avais lu La maison du Cygne ?"
"C'était sorti dans les années 70, non ? Je m'en souviens, c'était fabuleux !"
"Oui, j'avais adoré. Un ouvrage génial des Rémy"
"Un roman de SF incroyable chez Ailleurs et Demain ! C'est dommage qu'il ne soit plus édité."




Puis un jour Dystopia Workshop décide de ressortir les ouvrages des Rémy, anciens et nouveaux. On m'offre d'abord Le prophète et le Vizir (fantastique, merci Clément), puis je lis Les soldats de la mer (superbe), puis le Mont 84 (étonnant), quand enfin Dystopia publie une édition revue et corrigée de La maison du Cygne. Je l'attendais de pied ferme, puisque tout le monde ne jurait que par ce roman.

J'ai profité d'un voyage à Paris pour passer en Scylla et l'acheter. Dystopia n'est pas encore disponible au Québec, mais toutes les bonnes librairies de France se sont vues arrosées d'une piloute de La maison du Cygne, et la lectrice que je suis s'en abreuve avec joie.

J'ai attendu un peu avant de le commencer. Je choisis mes lectures en fonction de mon humeur. C'est agréable d'avoir une étagère remplie d'ouvrages à lire, et de pouvoir accorder littérature et état d'esprit. Avant-hier, le temps était donc venu de me plonger dans La maison du Cygne, avec Passy, Giska, Asa et le Maître.

Au coeur d'un désert de Mauritanie, dans un certain futur, La maison du Cygne va ériger son école pour former vingt-cinq enfants humains à devenir les hommes-clés de demain et changer la face du monde. Vingt-cinq enfants de tous pays et continents, choisis avec soin, puis formés avec amour par le Maître pour développer des pouvoir spéciaux et contrer la Maison de l'Aigle, son ennemi juré.

Qu'il est bon de retrouver la plume poétique des Rémy, qui se jouent avec habileté des genres et des styles littéraires. Dans la première partie, ils livrent un roman d'apprentissage mystérieux, dont la narration parfois proche du conte ensorcèle le lecteur. Le Maître forme ses élèves dans le Castel d'El Golem, leur inculquant des valeurs de camaraderies, fraternité et philanthropie, en les faisant apprendre leurs leçons de manière ludique. Les enfants d'El Golem grandissent en jouant, en s'aimant, puis travaillent sans relâche pour comprendre l'état du monde et développer leurs capacités le jour, et rêvent d'une autre vie la nuit. Ils s'ébrouent dans les dunes, sous l'oeil amoureux de leurs nourrices, car ils restent des enfants avant tout, même lorsque le drame les touche.

La seconde partie est plus noire, et nous apprend la réalité d'El Golem et des maisons du Cygne et de l'Aigle. On verse dans la science-fiction pure d'un côté, le fantastique de l'autre. Les Rémy brouillent un peu les pistes, on passe de la Mauritanie à la France, de la Normandie aux Pays Cathares, d'une citadelle à une autre. La première était pure et emplie de rires, la seconde est clinquante mais glauque à souhait. Quéribus se pare d'un parc d'attraction à vomir, entre Freaks show à l'ancienne et jeux de casino et paris truqués pour entuber le chaland, représentation ultime de la société actuelle dans toute sa splendeur (ou plutôt son horreur). Dans cette atmosphère nauséabonde, ils nous dévoilent le vrai visage du Cygne et de l'Aigle, et l'affrontement commence.

J'ai moins aimé cette seconde partie, plus trash que la première, sauf peut-être la fin où le personnage "principal", un Passy presque adulte, découvre la Fondation du Cygne et retourne au Castel. Le passage de Quéribus m'a parfois confondu, il a fallu que je relise certains enchaînements d'action pour être sûre d'avoir suivi le fil du récit. Je ne sais pas si c'est à cause d'une maîtrise de l'action un peu moins acquise des Rémy, ou bien justement un détournement du genre écrit avec leur style qui m'a un peu perdu - parce que j'ai tendance à lire des romans à la structure plus classique - en tout cas je l'ai trouvé un peu moins réussi. Même si, après coup, il m'en laisse une image bien nette.

J'aurais envie d'en raconter plus, sur les parallèles entre les ordonnateurs et veilleurs du Cygne et la religion Catholique, le Castel d'El Golem et son paradis perdu, l'enfer écoeurant de Quéribus, nid d'aigle sur son piton rocheux, harcelé de touristes en quête de sensations. Il y aurait fort à dire sur ce petit roman qui ne dépasse pas les 232 pages, mais je ne veux pas non plus trop divulgacher (j'adore ce mot) le futur lecteur.

Reprenons sur l'écriture des Rémy. Qu'elle est belle, cette écriture. Il me semble que dans le couple c'est Yves qui écrit l'intrigue, puis Ada qui exerce ensuite sa magie (reprenez moi si je me trompe). Un vrai duo d'artistes. J'aurais aimé avoir lu l'ancienne édition, pour comparer. J'imagine que dans ce qui a dû changer il y a l'aspect technologique, très au goût du jour dans cette dernière édition, mais qui ne devait pas être aussi avancé et proche de son état actuel dans l'édition de 78. On parle aussi d'Euronew comme monnaie, alors qu'à l'époque c'était le Franc.
Pour le reste, leur écriture est belle et soignée, parsemée d'un peu de jargon bien français, que mes amis québécois trouveraient couleur locale, et que j'adore particulièrement lire mêlé au langage littéraire un peu soutenu que leurs personnages emploient.
Mention spéciale au passage de "la Rifle", qui m'a fait quelque peu marrer et que je ne m'attendais pas à voir au milieu des lignes de ce roman, je croyais presque entendre quelqu'un crier "Boulègue !" comme du temps où je remplissais les grilles de loto avec des grains de maïs dans le gymnase de mon école primaire occitane.

Bref, La maison du Cygne, c'était vraiment bien, je comprends enfin l'engouement qui agitait les gens à son évocation, et j'invite à le lire sans réserve, celui-ci comme les autres romans et nouvelles de Yves et Ada Rémy.



CITRIQ


Commentaires

  1. Ah, on vient de passer en 2010 pour l’habillage du blog, c’est bien agréable :-).

    Je ne l’ai jamais croisé celui-là, il faudra que je le teste ou que je bouquinise.

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