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Abraham Lincoln, Chasseur de vampires, de Seth Grahame-Smith


Sachez en premier lieu qu’il n’est pas facile de trouver l’inspiration tous les jours, et sur certains livres en particulier. Sur le minimum de huit livres que je vais lire ce mois-ci, je n’en exposerai que quatre, et pas forcément mes lectures récentes. Premièrement, il me faut prendre parfois un recul par rapport à certains livres pour mieux trouver mes mots. D’autres me laissent une empreinte brûlante dès la dernière page tournée et je me jette en général sur mon ordinateur pour mettre mes impressions à plat. Je comptais écrire cet article hier soir mais il me semblait que mes doigts étaient gelés et mon imagination sèche, et pourtant j’avais en masse de matière à exploiter.

Et puis ce midi, après nombre d’essais infructueux sur plusieurs romans, mon esprit m’a susurré « ne lutte pas Guixxx, Abe te regarde du coin de l’œil, tu sais quoi faire ». Je n’avais pas encore terminé Abraham Lincoln, chasseur de vampires, qui trainait sur le rebord de mon lit. Je comptais patienter la semaine suivante pour murir ma lecture et en faire un joli exposé. Mais finalement, je me suis jeté sur les 100 pages restantes, affamée, et je me suis dit « mais oui, mais oui, c’est de toi dont je veux parler depuis hier. » Lui qui patiente depuis bien longtemps dans ma bibliothèque, couvert de poussières et de poils de félin, malmené par mon dédain. je l’avais acheté  lors de la création de mon blog, en pensant qu’étant donné la vitesse à laquelle je dévorais mes lectures à ce moment là, il ne ferait pas long feu avant que je concocte un bel article. De plus, la couverture de l’édition d’époque (Eclipse, maison qui a mit la clé sous la porte) était vraiment très réussie et super funky (il en faut toujours peu pour me faire craquer, une photo sépia, une hache et une tête coupée, quelle classe quoi !)




Las ! des temps sombres sont survenus à cette époque là de l'année, et le roman de Seth Grahame-Smith est tombé dans les abymes de mon Expedit Ik**, parmi d’autres perles de lecture qui attendent sagement, avec désespoir, que je les lise (un peu comme le grain de maïs Bonduel** qui reste seul au fond de la boite de conserve, quelle terrible tragédie cette publicité…).

Bon, passons aux choses sérieuses. Il est vrai que j’ai ressorti Abraham Lincoln, chasseur de vampires, en vue du film sorti sur nos écrans ce mois d’août 2012. La bande-annonce alambiquée laissant imaginer une grosse bouse baveuse, je me suis dit que j’allais lire le livre avant de me faire un véritable avis, et pouvoir ainsi comparer les deux œuvres.
Abraham Lincoln, chasseur de vampires, semblait pour moi faire partie d’une sorte de mode qui s’empare de la littérature depuis quelques années déjà. Il n’est pas rare que des personnalités (artistes, scientifiques, politiciens…) de notre Histoire deviennent les héros de romans, je pense notamment à cette série de romans policiers de Gyle Brandreth dont Oscar Wilde est le héros (chez 10/18), ou encore à Frederic Lenormand qui met en scène Voltaire (chez Le Masque), ou même l’Alieniste de Caleb Carr sur lequel j’ai écrit un article et qui s’approprie le grand Théodore Roosevelt.
Mais Abraham Lincoln, chasseur de vampire est quelque peu différent, ce n’est pas un roman dans lequel un personnage connu mène une enquête ou s’inscrit dans une intrigue totalement romancée (et puis il s’agit d’Abraham Lincoln qui chasse des vampires avec une grosse hache, un peu comme un Druss du XIXè siècle, trop cool hein ?) et ce n'est pas non plus une uchronie, puisque l'auteur respecte entièrement les évènements qui ont jalonné la vie du fameux Président.


Seth Grahame-Smith commence par une introduction qui explique l’origine de l’écriture du livre. Il vivait une existence paisible dans la ville de Rhinebeck au nord des Etats-Unis, était propriétaire d’un magasin général de moins en moins fréquenté, marié et des enfants, caressait le rêve et l’espoir de devenir un écrivain connu, fantasme enterré sous la réalité d’une vie banale où l’inspiration et le temps lui faisaient défaut pour accomplir la destinée qu’il souhaitait. Cela jusqu’à ce qu’un client un peu particulier, Henry, bouleverse sa vie en déposant sur son comptoir les dix carnets secrets du président Abraham Lincoln et lui intime de les lire et d’en faire un manuscrit satisfaisant.

Seth Grahame-Smith nous livre alors la biographie complète et « réelle » de la vie d’Abraham Lincoln, s’appuyant sur ses écrits en priorité, ceux des carnets cachés, mais aussi sur les faits historiques que l’on connait, les interviews, les vieux articles de journaux, les archives de cette période durant laquelle a vécu celui que nombreux considèrent comme le meilleur Président que les Etats-Unis ait jamais élu. La particularité de cette biographie, c’est qu’elle révèle un secret jusqu’alors connu seulement par une certaine partie de la population au pouvoir et quelques rares personnes ayant encore affaire avec l’engeance contre laquelle s’est battu Lincoln : l’existence des vampires.

Alors voilà, ça fait déjà, hm… plus de cinq ans en France que la vague vampirique souffle sur l’imaginaire artistique. Je vous entends déjà grommeler dans votre barbe (ou non d'ailleurs, pas de sexisme !) et vous dire que vous n'allez pas lire un livre de midinette, ou encore un de ces trucs de série B minable, avec un scénar à deux balles et écrit avec les pieds (bien que j'ai vu un sacré documentaire sur M6 sur une artiste-peintre qui faisait ses toiles avec les pieds : fascinant). Entre romans, films, BD, on en sort plus des vampires. Néanmoins, le fait de parler de vampires ne doit pas vous faire rebrousser chemin, les amis. Bien avant Twilight, l’imaginaire vampirique, ce mythe incroyable, inondait l’art : Nosferatu, Dracula, ont illuminé par le passé le cinéma, et plus récemment une auteur que certains considèrent comme la reine de l’horreur et du fantastique, Anne Rice avait remis au goût du jour le mythe du vampire avec ses séries de romans (Entretien avec un vampire, Lestat le vampire, la Reine des damnés… ) Et de fait, les vampires de Grahame-Smith ressemblent plus à ceux d’Anne Rice, exit Stephenie Meyer. La période historique de Lincoln s’y prête aussi bien plus facilement.

J’ai beaucoup apprécié cette volonté de mettre en place son livre comme un document plus qu’un roman, d’utiliser une écriture sans artifices, de rester dans une narration assez terre à terre, mais réellement bien écrite, et surtout de ne pas tomber dans la bêtise et le ridicule. Abraham Lincoln, chasseur de vampires est donc très peu romancé. Le livre débute avec l’enfance de Lincoln, surnommé Abe, et ressemble par beaucoup d’aspects à la biographie que vous trouverez dans les livres d’Histoires et sur les encyclopédies d’internet ; Abe, né dans le Kentucky en 1809, fait partie d’une famille pauvre, perd sa mère à l’âge de neuf ans et s’en remettra difficilement. Il développe une curiosité, une soif de connaissance et une facilité d’expression très tôt, ainsi qu’une taille gigantesque et une force équivalente. Il est même dit dans plusieurs biographies qu’il était très doué pour les travaux physiques et maniait très bien la hache.

Voilà, on y est, c’est dans cette famille pauvre, mal entretenue par un père paumé et fauché, qui contracte des dettes colossales et n’est pas capable de soigner sa famille, qu’Abe rencontre les vampires : sa mère est la première victime qu’il connait, tuée par un vampire à qui son père devait plus de 100$ qu’il n’a jamais pu rembourser. Elle décède d’un mal étrange, fiévreuse, sans force, délirant à propos du démon qui l’aurait empoisonnée. Comprenant la vérité, confirmée par son père qui connait l’existence de ces créatures malines, Abe va dédier sa vie à traquer et détruire les vampires. Son arme de prédilection est la hache, qu’il utilise pour fendre le torse ou le crâne des vampires aussi facilement qu’il fend une buche en deux.

Abraham Lincoln et son benjamin, Tad.
Rien d’extravagant dans la biographie que fait Grahame-Smith donc, tous les éléments de la véritable vie de Lincoln s’imbriquent parfaitement avec cette chasse aux vampires, les pertes qu’il va subir au fil de sa vie, puisque la moitié de sa famille, parents, femmes et enfants, lui ont été pris par la maladie. Je ne connaissais pas en détail la vie de Lincoln avant de l’avoir lu, je savais simplement que c’était un Président aimé, j’avais vu ces photos de lui, géant en long manteau noir, je savais son œuvre sur l’abolition de l’esclavage et connaissait les détails de son assassinat dans un théâtre durant son mandat. Après avoir fini le livre je me suis renseignée, j’ai surfé sur tellement de sites, et je suis impressionnée par le travail biographique effectué par l’auteur, et cette façon incroyablement fluide avec laquelle il mélange fantaisie et réalité.


Plus tard, Abe va faire la rencontre d’un vampire avec qui il va se lier d’une sorte d'amitié, il s’agit d’un certain Henry. Henry va lui apprendre tout ce qu’il doit savoir sur les vampires, d’où ils viennent, comment les battre. Grahame-Smith s’approprie l’Histoire  pour étayer sa conception des vampires, il évoque la colonie perdue de Croatan, les mythes et légendes européens, la comtesse sanglante Báthory, et à travers les chasses d’Abraham Lincoln il nous promène un peu partout du Kentucky à l’Illinois, de Washington à New-York, jusqu’à la Nouvelle-Orléans où Abe rencontre un autre connaisseur de vampires : Edgar Allan Poe.

J’ai pris vraiment plaisir à lire ce livre et trouvé la démarche de l'auteur géniale. La distinction entre les véritables éléments historiques de la biographie de Lincoln est plutôt dure à faire quand on ne connait pas bien son histoire. Mais une fois informé, on voit qu'il reste cohérent au niveau historique et met en scène de manière plausible et sans exagération un grand personnage de l’Histoire des Etats-Unis. J'ai aussi beaucoup apprécié le fait que le roman foisonne de références littéraires, poésies et tirades de théâtre !
Le seul passage finalement peu convainquant reste l’introduction de l’auteur, qui est allé un peu trop loin dans son implication et ne réussit pas être aussi convainquant que le roman. Il ne va pas au bout de sa mise en place de l'histoire, ne fait pas de conclusion pour expliquer pourquoi on lui a remit ces carnets et quelle sera la portée de son implication, il ne met pas assez en avant la situation actuelle qu’il invente selon laquelle les vampires marcheraient toujours parmi nous… dommage.

Durant ma lecture, j'ai beaucoup pensé à un autre livre que je vous recommande aussi fortement: Bloodsilver, de Wayne Barrow aux éditions FolioSF, et traduit par Johan Heliot et Xavier Mauméjean, deux écrivains français qui sont en fait les vrais auteurs du livre. Bloodsilver relate sous formes de nouvelles l'arrivée des vampires sur le Nouveau Monde à l'époque des premiers colons, et leur longue ascension aux Etats-Unis, aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest, jusqu'au début du XXème siècle. Le style est totalement différent, et les nouvelles elles-même ne se ressemblent pas, mais sur le même thème : les vampires aux Etats-Unis, c'est un must, c'est génial, et ça mérite d'être découvert !

En ce qui concerne le film Abraham Lincoln, chasseur de vampires, on m’a dit qu’il se prenait trop au sérieux et manquait de second degré. En voyant les extraits je trouvais surtout que le film avait l’air raté, trop dans le flamboyant hollywoodien, les effets spéciaux, et un scénario bâclé pour mieux exploiter le visuel. Maintenant, je sais que l’auteur à participé au scénario, alors on va voir si c’est juste le monteur de la bande-annonce qui fait mal son job ou si l’auteur n’est pas aussi bon scénariste qu’écrivain. Le livre ne contenait que très peu de second degré, je ne m’attends donc pas à un film drôle, et au vu des critiques je ne m’attends pas non plus à un film de qualité comme l’adaptation d’Entretien avec un vampire dans les années 90, pourtant c’est tout à fait l’angle qui aurait dû être abordé pour cette adaptation. Attendons voir.


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