Il m’est arrivé une chose bien étrange il y a peu.
Rembobinons, et rappelez-vous que j’ai commencé mon nouveau travail en juillet,
avec comme tâche de m’occuper de la littérature, et de développer le rayon
Littératures de l’imaginaire qui végétait à côté du polar, abandonné de tous.
Effectivement, personne n’en lisait, il n’avait même pas un coin établit pour
exposer ses nouveautés, et se composait essentiellement de trois étagères, dont
une était destinée seulement au Trône de fer...
C’était donc minimaliste. Mais je me retrousse les manches,
et la semaine prochaine nous passerons de 90 titres à 250, de quoi bien remplir
ma bibliothèque et laisser du choix aux clients lecteurs et amateurs de
littératures fantaisistes. J’ai donc aussi contacté les éditeurs avec lesquels
on travaillait peu, ou pas, pour leur dire que dorénavant on travaillerait la
SF/Fantasy/Fantastique et prendre rendez-vous avec eux. C’est comme ça que je
me suis retrouvée à parler des nouveautés de septembre/octobre avec le
représentant Bragelonne/Milady, l’une des maisons d’éditions les plus
importantes dans le genre. C’était un jour avant la sortie du Blackout
de Connie Willis, que je suis
actuellement en train de lire, et je lui ai d’ailleurs demandé de m’envoyer ce
livre en service de presse, impatiente de me remettre à lire des auteurs de SF.
Il m’a confirmé me l’envoyer, ce qui prendrait plusieurs jours (la preuve, je n’ai
toujours rien reçu de lui), alors j’ai été plutôt chamboulée de voir Blackout
posé sous une table à côté de la caisse seulement deux heures après son départ.
J’ai d’abord pensé que la nouveauté était arrivée, avant de comprendre que c’était
bien un SP, même si aucun de mes collègue ne pouvait me dire d’où le livre
était venu. Il avait l’air d’être tombé du ciel, personne ne se souciait de me
dire « tiens on a reçu ça », tous avaient l’air de ne pas plus comprendre
que moi, on était juste d’accord pour dire que le représentant n’était pas repassé
le déposer, que c’était néanmoins bien un SP, et que peut-être il avait poussé
tout seul sous la table, comme une plante grimpante… allez savoir.
Bref, je pensais devenir folle. C’était vraiment un mystère
et boule de gomme, une chose bizarroïde qui me perturbait, jusqu’à ce que,
plusieurs jours après, je reçoive un message d’un ami à moi me demandant si j’avais
reçu le Blackout de Connie Willis à
ma librairie. Je lui réponds donc que j’ai reçu un SP miraculeux mais pas reçu
la nouveauté, que j’ai donc commandé dès sa parution pour en faire une piloute.
Et ce filou me répond « oui, le SP c’est de moi ». Haaaaaaaaaaaan, le
petit cachotier ! Dire que je m’arrachais les cheveux à essayer de
comprendre le pourquoi du comment de cette apparition étrange, le mystère était
finalement résolu. J’avais oublié que j’avais un Inside man chez Bragelonne
depuis peu, et il m’avait envoyé le Connie Willis parce qu’il avait lu ma
chronique sur Sans parler du chien. Depuis, j’ai commencé mon Blackout, qui est trèèèèèès bien, mais
je n’arrive pas à m’y plonger corps et âme.
Je me souviens de mon adolescence et de ma vie d’étudiante
où je dévorais les livres comme des petits pains. J’avais le temps pour lire,
tout du moins je le prenais (sur mon temps d’étude, hm…), et il m’arrivait d’avaler
un livre en une journée. Je me rends compte que ça ne m’arrive plus très
souvent, le dernier roman en date qui peut se targuer de m’avoir fait un tel
effet c’est Dieu sans les hommes, que je conseille à tour de bras, en espérant
que les gens y verront la même puissance et la même beauté que moi. Sinon ce
sont des romans pour ados, certes plus faciles à lire et plus courts en
général, mais surtout vraiment captivant. En ce moment j’ai du mal à trouver
des romans « captivants ».
Même le Connie Willis couronné du Nébula, du Locus et du prix Hugo ne parvient
pas à me happer. Alors en attendant de le finir (il est gros, long, et
complexe, bien que très bien pour le moment), je continue d’alterner les genres,
entre littérature générale et littérature jeunesse, j’entretiens mon éclectisme.
Et ca fait longtemps que je n’ai pas parlé de roman jeunesse (comprenez jeunes
adultes en fait, genre 16/25 ans) et je vais rétablir les choses en vous
parlant de mon coup de cœur de cette rentrée pour les enfultes !
Il s’agit de Legend, de Marie Lu, un roman américain de la même trempe qu’un Hunger
Games, qui paraît le 14 septembre aux éditions Castelmore. Castelmore est le label pour jeunes adultes de Bragelonne/Milady.
Je l’assimile à Hunger
Games en grande partie pour le genre utilisé, la Dystopie. Vous l’aurez compris, c’est un genre qui s’oppose à l’Utopie,
dans lequel l’auteur dépeint une société imaginaire organisée de manière à
empêcher ses citoyens de connaître le bonheur. Dans Legend, on se trouve dans un futur inconnu, à Los Angeles, mais les
habitants de cette ville font partie de « la République », dirigée
par l’Elector Primo (le président, qui visiblement se fait élire de père en
fils…), en guerre depuis toujours contre les Colonies, ennemis qui possèdent
les terres au-delà du Texas oriental.
Dans cet univers, chaque enfant passe un examen qui évalue
sa santé et son intelligence à dix ans, et est envoyé dans un camp de travail
pour servir la République si jamais il échoue. La note maximum est de 1500,
score atteint par l’un des héros, June,
fille de bonne famille, élément précieux dans la jeunesse de l’élite, mais une
forte tête qui a tendance à ne faire que ce qu’elle veut. L’autre héros s’appelle
Day, il vit dans la rue depuis qu'il a échoué à son examen cinq ans plus tôt... Il sème depuis le désordre dans
la ville en commettant des vols et des attentats contre la République, devenant le criminel le plus recherché de Los Angeles. La seule chose qui le retient à Los
Angeles et l’empêche de se joindre aux Colonies, c’est sa famille, sa mère et
ses deux frères, qui vivent dans les quartiers pauvres constamment contaminés
par l’épidémie qui sévit dans la ville depuis plusieurs décennie. Or, après une
descente de l’équipe sanitaire, une étrange croix rouge est peinte sur la porte
de sa maison, et sa famille est mise en quarantaine. Trop pauvres pour s’acheter
des médicaments, Day va tout faire pour leur procurer de quoi se soigner, et
croiser le chemin de June, pour le meilleur ou pour le pire.
Autant dire que Marie
Lu a eu la bonne idée de se plonger dans un genre qui a le vent en poupe. J’avais adoré lire Hunger Games (je n’ai lu que le premier tome), mais avait parfois
été un peu énervée par le style simpliste du roman, et surtout la naïveté de l’héroïne
qui était certes une adolescente, mais les triangles amoureux et tout le
tintouin c’est quand même un peu éculé comme cliché. Bref, il n’empêche que Hunger Games t.1 est un très bon roman,
mais je mettrais même Legend
au-dessus de Hunger Games.
La roman est raconté tour à tour par June et Day. Alors oui, on se doute que l’un et l’autre vont finir par tomber amoureux,
qui ne le verrait pas venir, mais j’ai su en lisant les remerciements que June
devait à la base être un garçon, et qu’on lui a conseillé d’en faire une fille.
Certainement pour instiller le brin de romance qui aurait fait cruellement
défaut au livre si June n’avait pas été une fille. Allez, avouez-le, y a pas que les femmes qui apprécient les histoires d’amour
dans les romans. Mais ce point là n’est finalement pas le point le plus
important dans le roman ; l’univers décrit par Marie Lu est innovent et
audacieux, on sait que les eaux sont montées, ont submergé de nombreuses
villes et causé de nombreuses morts. On ne parle plus des Etats-Unis, qui aux
yeux des Républicains sont un conte mythologique, une invention. On sait que la
technologie a reculé, que la guerre entre la République et les Colonies est
violente, sale et dure depuis longtemps, et on aimerait en savoir plus !
Si le premier tome se passe essentiellement dans la ville et
est une sorte de traque de Day par June et les autres soldats de la République,
j’espère bien que la suite se passera sur le front et dans les Colonies pour en
apprendre plus sur toute cette histoire. Ce qui risque de roxer du poney, parce
que Legend, c’est quand même un roman
d’action, chasse à l’homme, combats rapprochés, tortures et interrogatoires
musclés, Marie Lu n’épargne pas son lecteur même si elle est censée s’adresser
à la jeunesse. A l’image de son univers, le livre est violent, mais ne verse
jamais dans la violence gratuite (contrairement au mauvais BRZK de Michael Grant chez Gallimard que j’ai tenté de lire juste avant).
Plus qu’un roman d’action, c’est un roman intelligent,
réfléchi, et qui, comme toute fiction dystopique, pose des questions, met en
garde. Alors oui, on en voit beaucoup (trop ?) sortir au rayon jeunesse,
tout le monde s’essaye à la Dystopie, certains romans sont sympathiques, sans
plus, et versent parfois dans le ridicule et le larmoyant. Mais dans Legend, on y croit, Marie Lu nous tient
avec une écriture quelque peu spartiate, qui ne s’encombre pas beaucoup de
sentiments et ne s’étale pas sur trop de dialogues, mais efficace, adaptée à l’histoire
et aux personnages qu’elle met en scène, deux combattants, un soldat, un
survivant. On en vient souvent à oublier que June est une jeune fille de
quinze ans, c’est un garçon manqué, elle est taillé pour le service militaire, l’action,
droite, le crâne bourré par les propagandes et les clichés des riches
républicains. Day lui est rusé comme un renard, très agile, un jeune homme en
fuite constamment sur le qui-vive, parfois inconséquent mais avec le cœur sur
la main, il traîne toujours avec lui Tess, une ado de 13 ans qui s’est accroché
à lui, est devenue son ombre et sa nouvelle famille.
Il y a une ambiguïté dans la personnalité des personnages que j’ai
beaucoup apprécié, la répulsion et le dédain de June pour la classe populaire qu’elle ne cache pas
dans ses réflexions. La volonté de Day d’aider sa famille, ses amis, d’aider
son prochain, tout en agissant parfois trop impulsivement sous le coup de sa
haine profonde pour la police et les militaires de la ville qu’il traite sans
cesse de « fachos ». Un terme qu’on retrouve souvent dans le roman
quand les citoyens des quartiers pauvres parlent des membres des forces de l’ordre
et de la classe aisée. Un terme qui peut choquer à la première lecture, mais un
pas de plus osé vers un autre degré de lecture pour les adolescents, une
écriture moins policée et restreinte dans le vocabulaire, une décomplexion
attendue dans ce genre, parce que les ados ne sont pas idiots non plus, n’ont
pas toujours besoin qu’on les ménage en réduisant le vocabulaire au plus
simple. C’est un mot qui va les bousculer, les faire se poser des questions et
se renseigner sur le pourquoi du comment de ce terme et faire le lien eux-mêmes
entre cette société que dépeint Marie Lu et certains événements du passé qui se
sont déjà produits dans le monde.
Action, réflexion, un roman que je conseille vivement si
vous voulez un coup de booste dans vos lectures, un roman stimulant, captivant enfin, qui vous happe,
malheureusement trop court à lire. J’aurais aimé que Legend s’adresse aux adultes, l’auteur aurait pu étoffer son
récit, lui donner encore plus d’ampleur, on sent pourtant une volonté d’en
faire plus qu’un roman pour ados, mais c’est ce qu’il est sensé être, et c’est
ce qu’il est… Bref, dans cette catégorie de roman pour jeunes adultes, c’est
vraiment une découverte, et on attend la suite avec impatience !
Bon, du coup je vais me replonger dans le Connie Willis, sous les couvertures, le félin étendu de tout son long et de ses 6kg à côté de moi. Il ferait vraiment un bon félin de librairie... *soupir*.
Commentaires
Enregistrer un commentaire