Je parle beaucoup de mon félin mais je vous parle peu du
québécois qui vit avec moi. Si si, j’ai un québécois qui vit avec moi, tout à
fait. Autant vous dire qu’aujourd’hui je suis pratiquement bilingue – je dis
pratiquement parce qu’il arrive toujours à me surprendre avec des expressions
incongrues (moi je dirais ridicule mais lui s’emporterait en disant que c’est
tout à fait normal et français… hm.) – s’en est même jouissif quand j’ai des
clients à la librairie qui viennent du Québec, mais cet apprentissage ne se fit
pas sans difficulté et sans douleur.
Alors bon, quand j’ai vu le livre Québec Bill Bonhomme de
Howard Frank Mosher aux éditions Cambourakis, j’ai eu envie d’y jeter un coup d’œil.
Déjà Cambourakis ne me déçoit jamais en littérature, ensuite y a une flopée de bouteilles
de gnôle sur la couverture, c’est rigolo (hm), et ensuite Québec Bill Bonhomme ?
Ça parle certainement d’un sacré québécois pour avoir un titre comme ça, et j’aime
bien les québécois, comme vous avez pu le constater.
Dans Québec Bill Bonhomme, Wild Bill nous raconte l’aventure
peu commune qui est arrivée à sa famille en cette fin d’hiver 1932, dans la
Comté de Kingdom et bien plus au nord, alors que son père, Québec Bill Bonhomme
(prononcez bien le K français), avait décidé de renflouer les caisses de la
ferme familiale en reprenant ses activités de contrebande de whisky avec l’Oncle
Henry Coville. Le foin avait moisi, les vaches avaient faim, les érables
avaient déjà été débités pour survivre à l’hiver, il ne restait plus que cette
option pour remettre la ferme sur pied. C’est donc toute une petite équipée dont
fait partie Wild Bill, à peine 14 ans, qui part avec un canoë (pas n’importe
lequel, celui de l’ancêtre René Bonhomme, fondateur du Comté de Kingdom avec
seulement son Canoë et une caisse de spiritueux), une Cadillac nommée Foudre Blanche, mais surtout l’éternel optimisme (et inconscience) de Québec Bill
Bonhomme, pour faire passer des caisses de Whisky canadien illégales sur le
territoire américain. C’est sans compter Carcajou, le trafiquant de whisky qui
a liquidé toute concurrence au-delà de la frontière, un monstre sans foi ni loi
qui ne manquera pas d’intervenir dans les affaires de la famille Bonhomme…
Il faut dire que l’histoire ne s’arrête pas à cet fin d’hiver
1932, car Wild Bill, à travers cette épopée rocambolesque aux côtés de son hurluberlu
de père, va découvrir une grande partie de l’histoire de sa famille, une
famille peu commune puisque essentiellement composés d’hurluberlus tous aussi
extravagants que son père : l’ancêtre René Goodman (anciennement Bonhomme
du Québec, nom que reprendra Québec Bill par la suite) disparu mystérieusement
dans les eaux du marais, Calvin Goodman, le fondateur de la grande bibliothèque
du Comté, tellement fan de Shakespeare qu’il nomma son fils William Shakespeare
Goodman, lequel excellait dans l’artisanat et l’art du bâtiment, et qui nomma
aussi son fils William (le grand-père de Bill), lequel se fit la malle encore
ado parce que la Tante Cordelia ne voulait pas le laisser assouvir ses envies
de beuverie, la Tante Cordelia, vieille branche de plus de quatre-vingt-dix
ans, affublée du don de prescience, et la seule qui n’était pas une fervente
buveuse de rhum et de whisky. Sans
compter Québec Bill, petit homme à l’optimisme illimité (souvent déplacé), joueur de
violon génial, amateur et collectionneur des choses les plus étranges – il collectionna
un temps tous les animaux dégénérés de la région, chien à cinq pattes, dinde au
goitre gigantesque…, mais aussi les aliénés de la région qui venaient
régulièrement trouver refuge dans leur ferme – lubies insensées que la mère de
Wild Bill acceptait sans mot dire (ou presque) et qui anima la vie du petit
Wild Bill jusqu’à cet hiver de 1932.
Wild Bill dit même de son père « Quand je pense à mon
père, j’essaie de ne pas en faire un personnage trop romanesque. S’il fut certainement
l’homme le plus romantique que j’aie jamais connu, il serait injuste envers lui
de simplifier sa personnalité et de le transformer en un être mythique. A
maints égards, c’était également un homme habité, sinon exactement hanté, dont
la vitalité, certes authentique, s’enracinait sans doute partiellement dans le désespoir.
Il se souciait peu de sa sécurité, et parfois pas davantage de la mienne. Il
était la fois suprêmement égoïste et
profondément compatissant, même avec les poissons. Homme plus orgueilleux n’habita
jamais le Comté de Kingdom, mais la merveille la plus modeste l’emplissait d’humilité,
de stupéfaction, de ravissement ; et, pour lui comme pour moi, le monde
était toujours un lieu magique. Je ne crois pas qu’il ait hérité beaucoup de
ces pouvoirs psychiques qui caractérisent notre famille, mais il possédait
certains instincts plus remarquables encore, des instincts que la plupart des
humains ont perdu depuis des millénaires. » (p.284)
Toutes ces histoires que nous conte Wild Bill en parallèle
de leur excursion de contrebande sont absolument savoureuses, et parsèment le
roman de petites touches de folie, d’anecdotes parfois surnaturelles mais surtout
complètement fantasques, puisqu’autant Québec Bill que ses ancêtres ont vécu des
vies hors du commun, pour des hommes hors du commun. A côté, on comprend que
Wild Bill (nommé ainsi par son père qui voyait en tout homme les qualités qui
lui étaient attribuées, puisque son fils n’était pas Wild – sauvage – mais lui l’était
bel et bien !) ressemble plus à sa mère et à son oncle, peu loquaces, plus
raisonnables, avec un côté cynique et ironique dont Québec Bill est totalement
dénué (bien qu’il persiste à voir en l’Oncle Henry un sens de l’humour
inexistant que lui seul partage…), et c’est pourquoi son récit des aventures de
son père et de sa famille est si intéressant, car contrairement à eux, Wild
Bill a les pieds sur terre, un sens de la réalité inexistant chez ses ancêtres
(comme lui dit sa Tante Cordelia qui passa sa vie à essayer de les remettre
dans le droit chemin « imagine ce que ferait ton père et fais tout le
contraire », maxime qu’il mettra le restant de ses jours en pratique !),
mais il aimait profondément son père et éprouvait une admiration sans borne pour
ces hommes excentriques aux tempéraments de feu, une admiration qu’il éprouvera
ensuite pour son propre fils Henry, qui héritera des dons de prescience de la
Tante Cordelia et de la force de vie de Québec Bill dont il est physiquement le
portrait craché.
![]() |
Adaptation en film avec Kris Kristofferson (la classe) |
Et si le roman d’Howard Frank Mosher semble surtout se
focaliser sur l’incroyable vie de Québec Bill Bonhomme, dont la contrebande
whisky de l’hiver 1932 sera le point d’orgue, on comprend qu’à travers l’histoire
de cette famille folle ou fantastique il crée une légende, un folklore local,
où les hommes sont des forces de la nature, à l’histoire profondément enracinée
dans cette terre dure et sauvage du nord du Vermont, une terre à la faune, à la
flore et au temps imprévisible, habitée par des hommes qui le sont tout autant.
Une terre de superstition, où pullulent les incidents étranges, les événements invraisemblables, les histoires les plus extraordinaires. Et Wild Bill se fait
le conteur de ces légendes incroyables et loufoques du Comté de Kingdom, qui
disparaîtront avec le départ de son fils pour le Canada sauvage dans les années
60, pour laisser place à une morne modernité dont le matérialisme morose
écrasera son incroyable passé où les hommes pouvaient encore vivre des
aventures comme celle de Québec Bill Bonhomme et de son face à face avec le
terrible Carcajou.
Carcajou, un personnage presque mythologique, une sorte de
démon increvable qui poursuivra Wild Bill et son père tout le long de leur
cheminement du Canada français vers le Comté de Kingdom, bien décidé à
reprendre les caisses de Whisky que les Bonhomme lui ont dérobé pour leur
contrebande salvatrice. Les face à face de Carcajou, Québec Bill et Wild Bill
sont titanesques, certainement les passages les plus terrifiants du roman,
puisque Wild Bill restera hanté toute sa vie par le fantôme planant de
Carcajou, au poitrail percé d’une lance, au visage lacéré par la chevrotine, au
crâne fendu en deux par une hachette, mais qui se remet toujours debout, les
yeux fous, hurlant à la lune comme un sauvage, et qui aurait bien fini par
avoir leur peau à tous si…
Car Québec Bill Bonhomme est un récit qui alterne entre
aventures épiques, péripéties abracadabrantesques et anecdotes burlesques qui
font à la fois tressaillir d’appréhension et hurler de rire, le tout
magnifiquement soutenu par la plume très fouillée de Mosher. Les personnages de
son roman ont beau être des fermiers, des contrebandiers, des guerriers sans
scrupules, ce sont aussi des érudits, des artistes, des hommes et des femmes
amoureux de musique, de belles lettres, sachant parler latin, anglais, français
ou encore hébreux, des mécènes, des hommes instruits et protecteurs d’une
certaine culture qu’ils se transmettent de génération en génération. Wild Bill
lui-même deviendra juge et avocat, et nous conte son histoire avec une langue
alternant entre le langage familier de ses personnages et les belles
formulations que lui a transmis la Tante Cordelia, le tout saupoudré d’un grand
nombre de références littéraires.
Ce qui est étonnant aussi, c’est qu’à travers ces histoires,
et notamment l’escapade des Bonhomme à la frontière du Canada français, on voit
les relations ambiguës et toujours tendues des anglais et des canadiens français. Québec Bill Bonhomme et sa famille sont des canadiens français
immigrés, ils alternent facilement entre le français et l’anglais, mélangent
leurs deux cultures sans se poser de questions ni sans éprouver de
difficultés (Wild Bill explique tout de même que ses parents lui parlent en
anglais, mais se disputent toujours en français). Mais à travers les rencontres
qu’ils vont faire de l’un ou l’autre côté de la frontière, Mosher nous
dépeint la situation toujours difficile entre les deux origines, cette méfiance
et ce rejet du premier (l’anglais) pour l’autre (le français). Cette vision des
choses (qui reflète la situation de 1930 surtout) m’a beaucoup intéressée
mais n’a pas vraiment plu à mon québécois, allez comprendre pourquoi :D !
Bon je vais conclure parce que ce roman est tellement riche
et foisonnant qu’on pourrait en parler des heures, mais le mieux c’est quand
même de lire, parce que Québec Bill Bonhomme c’est un concentré d’aventures
délirantes, picaresques, dont la lecture jouissive procure un formidable
plaisir, car on y croise tout de même des prêtres licencieux, des vieillards
concupiscents, des alcooliques mystiques, des castors obstinés, des
contrebandiers diaboliques et invulnérables, des bébés smilodons, des faons
albinos, et plein d’autres choses tout aussi invraisemblables et jubilatoires.
Je ne résiste pas à vous mettre un autre extrait qui m'a fait éclater de rire, tiré du
souvenir que raconte Wild Bill à propos de l’amour de son père pour les explosions
diverses et variées, et dont la dernière lubie en date était de détruire le
barrage des castors qui l’empêchait d’accéder à son bassin à truites favori.
Mais chaque semaine, les castors remettaient
le couvert, et Québec Bill Bonhomme revenait inlassablement installer ses
explosifs.
« Puis, un après-midi de la fin août où mon père et moi
avions décidé d’aller pêcher, nous découvrîmes toute une colonie qui
travaillait fiévreusement à un nouveau barrage. Le castor chocolat aux grandes
dents travaillait avec les autres. Assis sur le barrage d’où il dirigeait les
opérations de construction, nous découvrîmes un castor noir qui devait peser
près de cinquante kilos. "J’aurais dû me douter qu’ils feraient ça, dit
mon père. Wild Bill, ils sont allés au Canada pour se dégoter un ingénieur
français capable de construire un barrage indestructible. J’ai entendu dire que
les castors sont capables de ça. Maintenant j’en ai la preuve. Regarde ce grand
Français noir. Il n’a nullement peur de nous. Eh bien, il a raison. Nous
économiserons notre dynamite pour un autre projet." » (p. 164)
(et je souligne la traduction de Brice Mathieussent, superbe)

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