Parfois je suis un peu constipée de l’écriture. Il me faut
digérer une lecture, l’envie d’en parler se fait sentir mais la chronique n’est
pas prête à être délivrée ! (si c’est pas beau cette entrée en matière…
quand même.)
J’admire donc ces bloggeurs à même de tout le temps donner à
chaud, avec une constance d’écriture précise (tous les jours ou tous les deux
jours pour certains, rassurez-moi vous n’êtes pas des robots ?), leurs
impressions sur un livre.
Moi j’ai besoin de remâcher, de trouver les mots pour
expliquer certaines images qui me viennent en tête. J’ai besoin de me remettre
en situation, de retisser des liens entre l’écriture, l’histoire, les
différents chapitres. Bref, ça demande de la préparation tout ça. Bon je n’aime
pas attendre trop longtemps non plus, sinon je finis par oublier la moitié de
ma lecture et je suis obligée de reprendre le livre sans cesse, je me force.
Là, pour vous illustrer de quoi je parle, ça m’est arrivé
avec Anamnèse de Lady Star, de L.L. Kloetzer, aux éditions Denoël. J’ai terminé
le roman lundi, et mon esprit est resté comme coincé dans cette lecture, sans
moyen de passer à autre chose, mais sans moyen non plus d’expliquer l’expérience
que je venais de vivre. J’ai eu besoin de m’en remettre à mon rythme. J’ai
tenté dix minutes après d’ouvrir Orgasme à Moscou de Edgar Hilsenrath, pourtant
une autre très bonne lecture, mais le choc des genres a été si difficile à
encaisser que je n’ai pas pu aller très loin. Il fallait me l’avouer, Anamnèse
de Lady Star m’occupait toujours l’esprit, et j’avais besoin de temps pour me
consacrer à autre chose.
J’ai lu Anamnèse de Lady Star en deux temps, en deux jours,
sur deux périodes de trois heures sans interruption… il faut que je vous dise
que je n’ai pas lu trois heures sans interruption depuis, fioute, un sacré
temps, disons certainement depuis mes études où je passais tout mon temps libre
ou presque à libre, et même mes études à lire (déjà j'étudiais en spé métiers
du livre, mais en plus je passais plus de temps à lire cachée derrière la table
qu’à retranscrire les cours, c’est comme ça !). Non sans dec’, j’ai quand
même réussi à réitérer cet exploit la semaine d’avant pour Les Proies, donc j’en
fais un peu trop. Mais il est vrai que ça m’arrive rarement. Et là où Les Proies
était quand même d’un niveau de lecture assez simple, L.L. Kloetzer place la
barre au-dessus.
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Je tiens à dire deux mots sur la couv' du livre, qui est une oeuvre d'art de Stéphane Perger, mais malgré tout vraiment trop rose. Sérieux... trop de rose tue le rose. |
Mais qu’est-ce donc, Anamnèse de Lady Star ? Déjà le
titre intrigue, personne ne sait ce que veut dire Anamnèse, c’est un mot
bizarre, inusuel, et Lady Star, qui est-ce ? Je répondrai à ceci en temps
voulu, place à un petit résumé (le moment que j’aime le moins, mais qui vous
accroche le plus).
Dans un futur proche, l’homme a établi le Contact avec les
hommes descendus des cieux, les Elohim. Ils vivent parmi les humains, s’intègrent
parfaitement ou presque à la civilisation.
Dans un futur proche à lieu le Satori, le jour où une bombe
a explosé à Islamabad, dévastant la moitié de l’humanité. C’est une bombe
iconique, dont l’explosion s’attaque à la psyché, détruit les émotions intérieures,
réduisant les hommes à l’état de légumes et qui peuvent contaminer les autres d’un
simple regard.
Trente ans après, une commission internationale a jugé tous les terroristes, les a condamné à perpétuité
ou à se balancer au bout d’une corde. Mais certains sont persuadés que l’une d’entre
eux manque, l’éternelle absente, dont on ne connait ni le nom ni le visage, sur
qui l’on ne possède aucune piste fiable, excepté l’intuition qu’elle était là,
et qu’elle a participé d’une manière ou d’une autre, qu’elle détient le dernier
mot de l’histoire.
L.L. Kloetzer a un don. Je devrais le mettre au pluriel
parce qu’ils sont L. et L. Kloetzer, Laurent et Laure, mari et femme, les deux hémisphères
du cerveau de l’œuvre. Ils ont, donc, un don. Ils sont capables de mélanger les
genres, et de les sublimer. De l’apocalyptique, on en a eu à la pelle, sur
papier et sur écran. De l’extraterrestre, on en a eu à foison, et du mélange
des deux, on en a aussi eu assez pour une indigestion. Mais là, on est face à
ce roman, inscrit dans la lignée de la SF apocalyptique, post-apocalyptique,
dont la construction originale vous happe littéralement (pendant ma lecture je
n’arrivais pas à m’arrêter) et dont la plume à la fois incisive et douce vous
guide avec fascination du début jusqu’à la fin.
Le duo L. L. fait vivre son roman sur soixante ans, de l’année -16
avant le Satori jusqu’à 50 ans après, retraçant ainsi les prémices du projet
STAR (le projet de la bombe iconique), l’explosion de la bombe lancée par un
fanatique, jusqu’à la chasse à l’homme obsessionnelle qui animera les
survivants pour capturer celle qui leur glisse entre les doigts comme un
fantôme, et qui fait le lien entre toutes les époques, omniprésente mais
toujours absente, la clé de l’histoire et du roman.
La force des Kloetzer, c’est d’arriver à créer un canevas
cohérent et incroyablement bien construit avec des bouts de ficelles ténus. Il
faut s’accrocher, chaque chapitre relatant l’avant ou l’après Satori est écrit
avec le style qui correspond à son narrateur, à son personnage principal,
allant du témoignage, à l’interview, à la confession. Très peu de choses sont
expliquées, c’est au lecteur de saisir les bases de cet univers proche du notre
où l’on comprend que l’homme et l’extraterrestre vivent ensemble sur Terre, se
mêlent sans distinction. Les Elohims sont des êtres changeants, qui s‘adaptent
aux humains pour vivre, ont besoin d’eux, de leur reconnaissance, de leur
soutien, de leurs souvenirs pour être tangibles, présents, libres. L’après
Satori, le jugement, la traque, sont contés dans un désordre chronologique
volontaire, par le biais de différents narrateurs et à leur manière, et ce sont
les nouveau termes techniques, les nouvelles normes de l’humanité qu’inventent
Kloetzer qui déstabilise le lecteur, à la fois proche de notre civilisation, et
finalement totalement nouveau.
Ils définissent un nouvel ordre chaotique, constamment en
guerre, toujours sur ses gardes, d’une grande violence, à la recherche d’un
avenir possible sur une terre à l’agonie où titubent les malades du Satori,
prêts à contaminer chaque survivant sur son passage. Ils imaginent un univers
implacable, et nous projettent dedans, nous mettent en état de choc face à la
dureté de cette bombe qui s’attaque au soi, épargne certains et achève les
autres de façon sournoise et terrible, un futur où l’humain décide de détruite
l’âme humaine et non pas l’être humain.
Mais l’écriture poétique de Kloetzer, pointue et relevée,
contrebalance avec brio cette dureté, ce
propos terrible d’une presque éradication de l’humanité. C’est une langue
difficile, qui alterne entre la beauté des mots, la fluidité des phrases et le
heurt de ces termes nouveaux, de ce langage futur devant lequel on hésite au
premier abord, alors on le relit, on l’absorbe, et il nous fait glisser habilement
d’un coin à l’autre du récit, sans écueil, avec une aisance remarquable, une
langue tout à fait à l’image de son titre, d’ailleurs ! Alors, je me suis
renseignée pour l’origine du mot « anamnèse », qui ne me parlait
absolument pas. Et il a plusieurs significations, une signification ésotérique (on pense aux homme
qui viennent du ciel), médicinale (on pense à la maladie propagée par la bombe),
psychologie (on pense au icônes qui s’attaquent à la psyché), religieuse (on
pense aux Elohim qui ne vivent que par la l’adoration du l’humain), mais les
synonymes proposés à l’anamnèse vous parleront certainement mieux, « expérience,
histoire, passé ». C’est finalement en lisant l’œuvre, en terminant le
roman, que ceci prend tout son sens.
Bon, voilà comment j’ai vécu la lecture d’Anamnèse de Lady
Star, avec une fascination compulsive, cette conscience aiguë de lire une
nouvelle expérimentation du genre, difficile mais tout à fait géniale. J’ai
fini par digérer ma lecture, mais je suis un peu déçue par cette masse
grouillante d’idées que je vous lance à la figure.
Anamnèse de Lady Star est tellement… tellement plus subtil,
tellement plus complet, tellement PLUS. Il y aurait tant à dire. J’avais déjà
beaucoup aimé le précédent titre du duo Kloetzer, Cleer, paru en 2010,mais là
je suis conquise.
Je vais en rester là, me concentrer sur Orgasme à Moscou où
je vais me payer une tranche de rire, là pas de chausse-trappes dans l’écriture,
pas de subtilités non plus, mais du plaisir aussi ! Je vous en dirai des
nouvelles.
Je savais bien que ça avais l'air d'être une tuerie. D'ailleurs, j'ai conseillé et vendu l'exemplaire de la librairie avant d'avoir pu le prendre.
RépondreSupprimerCheck, ajouté à ma liste de lecture très prochaine.
Par contre, d'accord avec toi, trop de rose tue le rose. C'est en partie à cause de ça que je me suis pas jeté dessus ...
En attendant une prochaine critique de scifi avec impatiente ...
Signé : Super Pingouin
Yeah Super Pingouin ! Bon ben réserves-toi le prochain exemplaire avant de le revendre, parce que ça vaut vraiment le coup de le lire ! Malgré le rose...
SupprimerPour parler de ton introduction, ça dépend de ce qui nous pousse à écrire notre avis je suppose. Ce que tu fais, par exemple, je ne saurais le faire. J'ai besoin de partager mon avis à chaud, quand je suis le plus passionnée par la chose, quand j'ai besoin de parler de ce que j'ai vécu pour construire ma réflexion sur le livre (ou le film, c'est tout autant valable) parce que souvent, c'est le billet (ou la discussion que je peux avoir avec quelqu'un) qui va me permettre de prendre la mesure de ce que j'ai lu ou vu, de découvrir des liens, d'établir des connecions. Quand je laisse passer quelques jours, la réflexion a pris place, le livre a été décanté et l'envie d'en parler m'est passée parce que ce travail d'analyse s'est fait sans interlocuteur et que d'introduire quelqu'un d'autre dans le ressenti me paraîtrait bizarre, déplacé presque (pas toujours cela dit). Je ne sais plus parler d'un livre, d'un film une semaine après, mon esprit ne bouillonne plus autant à son sujet, il est déjà digéré et je ne peux plus l'évoquer de la même manière. Enfin, si, bien sûr, je peux encore l'évoquer, mais je ne ressens plus le besoin de le faire, ça ne me tenaille plus autant, alors que parfois, quand je termine un livre ailleurs que chez moi et que je ne rentrerai pas avant quelques heures, ça devient presque douloureux de ne pas pouvoir écrire ce qui me passe par la tête, de ne pas pouvoir réordonner mes impressions. Pas pour tous les livres, juste pour ceux qui remuent quelque chose en moi, que je les ai aimés ou pas.
RépondreSupprimerC'est donc selon les besoins de partage de chacun, si l'on préfère décanter avant de parler ou si le fait de parler aide justement à décanter ^_^.
(ahem, pardon pour les fautes, surtout connexions, mon doigt a glissé)(vraiment, les deux touches sont l'une à côté de l'autre ^_^)
RépondreSupprimerOui je comprends ce que tu veux dire, j'ai écris "parfois" parce que ça m'arrive de temps en temps d'avoir vraiment envie de donner mon avis tout de suite. C'est souvent quand la lecture est plus simple d'ailleurs. Là j'ai eu besoin de m'imprégner de ma lecture pour celui-là précisément. Ça m'est arrivé aussi pour le Jeff Noon, pour Je suis Février et certains autres, plus ardus, plus touffus, où je sens qu'il faut que je me recentre avant de livrer mon avis.
SupprimerAprès j'essaye d'écrire une fois par semaine, et je dois me ménager des temps pour ça parce que ça me prend entre deux et trois heures, et je n'ai pas forcément ce temps tous les jours.
Bref, je suis vraiment admirative hein, même si je traite les bloggeurs de robots^^ Je ne prends pas non plus le temps de lire assez pour être aussi régulière...
Et pas de soucis pour les fautes, j'en fais tout le temps aussi, je relis une trentaine de fois ma chronique pour les éradiquer mais ce n'est jamais suffisant...
(tiens, toi aussi, elles t'échappent, ces sales bestioles de fautes? J'ai une routine, relecture le lendemain puis le surlendemain en plus des 4-5 corrections le jour-même, mais même avec ça, elles se cachent et m'explosent au visage 4-5 mois après, me faisant rougir lorsque je pense au nombre de personnes qui les auront vues)
RépondreSupprimerMoi j'écris en général en regardant un film le soir (il n'y a que quand je lis ou que je vais au cinéma que j'arrive à ne faire qu'une chose à la fois, autrement ça m'est difficile). Un film=une chronique en général, c'est tout juste (bon, par contre, quand c'est un film japonais en VOST, bien sûr, je n'écris pas ^_^).
(Oui elles sont teigneuses, et souvent j'aimerai que certains lecteurs à qui elles sautent aux yeux me préviennent, que je puisse changer ça rapidement !)
SupprimerL'approche labyrinthique et la confrontation par la bande à cet univers désenchanté donne un charme à l'ensemble et favorise l'immersion.
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